Enver Pacha et l'intervention de la Turquie dans la Première Guerre mondiale

Enver Pacha est l’une de ces personnalités qui semblaient être destinées à jouer un rôle important dans l’histoire du monde. En tant que patriote ardent, profondément affligé par la situation humiliante de sa patrie sous la mauvaise gestion du sultan Abdul Hamid, il a rejoint le Parti des Jeunes Turcs, dont le but politique ultime était le renversement de ce dirigeant. 

Après cet événement du 27 avril 1909, le jeune major Enver Bey prit une part active aux difficiles luttes constitutionnelles qui suivirent le changement de chef de l'État. Il a également participé à la réorganisation de l'armée. L'annexion de la région turque de Tripoli  par l'Italie a amené Enver Pacha dans la zone de guerre libyenne. Lors de la première guerre des Balkans, qui suivit la guerre d'Afrique, Enver était déjà en position de force. Mais il ne put intervenir pour sauver la situation lorsque l'énorme mauvaise gestion des approvisionnements en nourriture, en munitions et en services médicaux de l'armée conduisit aux terribles défaites de Kirk Klissé, d'Andrinople, de Janina, etc. Mais Enver est resté courageux, intrépide et actif. Il connut un succès particulier dans les batailles pour la ligne Chataldzha, dont il orienta la défense dans des directions relativement favorables.

C'est Enver qui a ensuite aidé la Bulgarie affaiblie à reconquérir Andrinople, qui lui avait déjà été cédée. C'est là qu'il s'est révélé être l’incarnation de la vengeance. Dans la guerre mondiale actuelle, il était destiné dès le début à prendre la direction diplomatique et militaire de la Turquie. Le sultan, dont Enver était devenu le gendre, lui confia le commandement suprême de l'armée et de la flotte. Enver avait appris des souffrances de son peuple qu’il avait été systématiquement détruit par la Russie et l’Angleterre au cours des siècles, que la Turquie devait considérer ces deux États comme ses principaux adversaires, mais que la guerre mondiale actuelle offrait la dernière et irrémédiable opportunité de se libérer de leur joug et d’empêcher la chute complète de l’État ottoman.

Enver devint ainsi le chef du parti guerrier qui cherchait à s'allier à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Cet objectif fut atteint à la fin du mois d’octobre 1914. La guerre fut déclarée à la Russie et à l'Angleterre, puis à la France, et dans les premiers jours de novembre fut proclamée une guerre sainte qui obligeait 300 millions de musulmans, par leur foi, à ne pas combattre dans les rangs des ennemis de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, mais plutôt à faire la guerre à leurs ennemis.

La déclaration de guerre a été immédiatement suivie par l'action. L'armée turque, rassemblée depuis des mois sur les pentes sud du Caucase, a battu les troupes frontalières russes dans une telle tempête qu'on ne reconnaissait plus les turcs du Triangle des Balkans. En même temps, la flotte turque a commencé à agir avec force en mer Noire. Elle avait reçu un précieux renfort grâce aux deux navires allemands « Goeben » et « Breslau », qui avaient pu s'enfuir au début de la guerre vers Constantinople. Ils furent habilement pris en charge par le gouvernement turc et désignés sous les noms de « Midilli » et « Sultan Yawus Selim ». La flotte turque ainsi renforcée bombarda Sébastopol, Odessa, Poti, Batoum, etc., chassa l'adversaire dans ces ports après quelques pertes sensibles en haute mer et ferma complètement ces derniers par des barrages de mines. Enver et ses fidèles n'avaient pas laissé passer les années précédant la guerre mondiale sans rien faire, mais avaient au contraire tout mis en œuvre pour renforcer, remplir et réorganiser l'armée. L'augmentation de la puissance de la cause de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie par l'armée turque sous le commandement d'Enver Pacha devrait être très importante et constituer un maillon essentiel dans la grande équation de la guerre.

Source : Lieutenant Général Baron von Ardenne, Illustrierte Geschichte des Weltkrieges 1914

Traduit de l'allemand par Cl. He.