On pourra constituer le plus beau des Livres d'Or avec les lettres écrites par nos héroïques soldats. Ils y content avec simplicité des actions d'éclat auprès desquelles paraissent insignifiants les récits dont se glorifia l'antiquité.
Voici, par exemple, l'admirable lettre écrite par un soldat à ses parents pour leur narrer la prodigieuse défense du Fort de Troyon :
Chers parents,
Nous avons été attaqués par une armée allemande de 10 000 hommes. Nous les avons repoussés. Alors, un affreux bombardement commença avec des pièces d'artillerie de 155, 220 et 335; cela dura pendant cinq jours. Le deuxième jour, à huit heures du soir, ils tentèrent l'assaut, c'était terrible : ils vinrent jusqu'à dix mètres; ils durent se replier.
Le lendemain, un parlementaire se présenta; "Rendez-vous !" -Un français ne se rend jamais. -Nous vous réduirons en cendres avec nos gros obusiers."Le bombardement recommença; les éboulements des souterrains, les appels désespérés des camarades ensevelis, je n'oublierai jamais ça ! Enfin, le renfort vint, ils s'enfuirent, quelle délivrance !
L'assaut du Fort par l'infanterie allemande commença le 9 à huit heures du soir jusqu'à trois heures du matin; ils se retirèrent avec des pertes importantes. Le Fort est presque anéanti; nous avons des blessés et des morts. Notre capitaine est tombé criblé de vingt huit blessures; notre lieutenant a eu la jambe emportée, il est mort à l'hôpital.
Pendant cinq jours, nous avons interdit le passage de la Meuse à 10 000 hommes et nous sommes 450. Le Gouverneur de Verdun est venu nous féliciter. Il a dit que c'était le plus beau fait d'armes de l'Histoire. Tous les jours, c'est un défilé d'officiers; six généraux sont venus. Les troupes qui passent sur les routes présentent les armes. Le Gouverneur nous donne 1 200 litres de vin; le général...50 litres d'eau-de-vie; le préfet de la Meuse, 50 bouteilles de champagne, le sous-préfet du linge; le colonel du 8ème d'artillerie, 200 francs.
Vive la France ! et en avant pour la patrie !
E.B.
Source : Bulletin des Armées de la République, 24 octobre 1914.