Le directeur d’un lycée – un certain professeur Gneisse, pédagogue allemand qui eut son heure de célébrité – vit, un beau matin, entrer dans son cabinet le général von Watter, commandant d’une brigade d’infanterie à Colmar même.
-Monsieur le Directeur, déclara le général d’un ton rogue, mon fils fait ses études dans votre lycée, comme vous le savez…et l’on a eu l’audace de lui donner, pour sa dernière composition en allemand, la note « médiocre » (mangelhaft).
-Excellence, répondit le directeur en tremblant, c’est sans doute qu’il la méritait.
-Pas du tout ! savez-vous qui avait fait sa composition ?
-Lui-même, je pense.-
Non, Monsieur. L’auteur, c’était moi en personne ! Ici, le général s’arrêta un instant pour jouir de la confusion du pauvre directeur, puis il ajouta :
-Je vous préviens que je soumettrai la composition à vos chefs hiérarchiques afin que la note soit rectifiée et qu’on lise désormais avec plus de discernement les devoirs de mon fils.
Le général, au sortir du lycée, sauta dans le train et se rendit tout droit à Strasbourg pour se plaindre au Directeur de l’Enseignement.
-Je vais, lui déclara celui-ci, charger séparément, sans leur révéler le nom de l’élève, deux de nos meilleurs professeurs de corriger à nouveau la composition que vous me faites l’honneur de m’apporter. Dès que j’aurai l’appréciation de ces messieurs, je vous la transmettrai.
Les deux professeurs corrigèrent, chacun dans son coin, et marquèrent l’un et l’autre, sans hésiter, la note ungenügend (tout à fait insuffisant).Du coup, le général von Watter renonça à sa réclamation.
Source : Bulletin des Armées de la République, 14 octobre 1914.